PHÈDRE

ou

DE LA BEAUTÉ DES ÂMES de PLATON

[230] Je ne puis pas encore, selon le précepte de Delphes, me connaître moi-même, et il me semble ridicule de chercher à connaître,  en m'ignorant encore, des choses étrangères. Voilà pourquoi, renonçant à ces fables, je m'en remets sur ce point à la croyance commune ; et, comme je le disais tout à l'heure, au lieu d'examiner ces prodiges, je m'examine moi-même, et je cherche à savoir si je suis un monstre plus entortillé et plus fumeux que Typhon, ou un animal plus doux et plus simple qui tient de la nature une part de lumière et de divinité. Mais à propos, mon ami, ne sommes-nous pas tout en parlant, arrivés à l'arbre où tu nous conduisais ?

PHÈDRE

Oui, c'est bien l'arbre lui-même.

SOCRATE

Par Héra ! quel beau lieu de repos! Ce platane, en effet, s'étend très largement, et s'élève très haut ; et ce gattilier élancé répand aussi un merveilleux ombrage. Comme il est au plus haut de sa fleur, il dégage en ce lieu l'odeur la plus suave. Voici encore que, sous ce platane, la plus agréable des sources épanche une eau très fraîche, comme l'indique ce que mon pied ressent. Elle doit être, à en juger par ces figurines et par ces statues, consacrée à des Nymphes, et à Achéloüs. Goûte encore, si tu veux, tout ce qu'a d'attrayant et de très agréable le bon air que ce lieu permet de respirer ; il accompagne le choeur des cigales d'une harmonieuse mélodie d'été. Mais, c'est le charme de l'herbe qui plus que tout m'enchante ; en pente douce, elle a poussé en quantité suffisante pour qu'on s'y étende et qu'on ait la tête parfaitement à l'aise. Quel excellent guide des étrangers tu serais, mon cher Phèdre !

PHÈDRE

Et toi, mon admirable ami, tu te montres sous le jour le plus étrange ; car, pour parler comme toi, tu ressembles tout à fait à un étranger que l'on guide, et non pas à un habitant du pays. Au vrai, tu ne sors pas de la ville, tu ne voyages pas, et tu me fais penser que tu n'es jamais sorti hors des remparts.

SOCRATE

Pardonne-moi, mon ami. C'est que j'aime à m'instruire. Or les champs et les arbres ne veulent rien m'apprendre, mais les hommes s'y prêtent dans la ville. Toi, cependant, tu me parais avoir trouvé le moyen de m'inciter à sortir. Comme on se fait suivre, en effet, d'animaux affamés en agitant devant eux un rameau ou un fruit : toi, de même, en me tendant des discours manuscrits, tu pourrais me conduire tout autour de  [230e ] l'Attique et partout ailleurs où bon te semblerait. Maintenant donc, puisque me voici parvenu jusqu'ici, Je vais m'étendre sur l'herbe. Pour toi, prends l'attitude qui te semblera la plus commode pour lire, et lis dès que tu l'auras prise.

PHEDRE

Ecoute donc.

" Tu connais certes quelles sont mes intentions, et tu sais que je pense qu'il est de notre profit à tous deux qu'elles puissent aboutir.