PHÈDRE ou DE LA BEAUTÉ DES ÂMES de PLATON [257] bassesse qui conduira cette âme à rouler, privée de raison, autour de la terre et sous terre, pendant neuf mille ans. Voilà, cher Éros, la palinodie la plus belle et la meilleure qu'il soit en mon pouvoir de produire et de t'offrir. Si j'ai été contraint d'en rendre poétiques et les mots et les phrases, c'est Phèdre qui m'a contraint à m'exprimer ainsi. Pardonne à mon premier discours et reçois celui-ci en faveur. Sois-moi propice et bienveillant. Ne me retire pas et ne mutile pas dans ta colère cet art d'aimer dont tu m'as gratifié. Accorde-moi d'être plus prisé que jamais auprès des beaux garçons. Si naguère, Phèdre et moi, nous t'avons en paroles [257b] cruellement offensé, n'en accuse que Lysias, le père de ce débat Fais qu'il renonce à écrire de telles compositions ; tourne-le vers la philosophie, comme s y est tourné son frère Polémarque, afin que son amant qui m'écoute ne soit plus hésitant comme il l'est à cette heure, mais qu'il travaille à se faire simplement, en s'aidant de l'étude de la philosophie, une vie pour Éros. "PHÈDRE Je joins ma prière à la tienne, Socrate, pour implorer la réalisation de tes voeux, si toutefois ces voeux nous sont un avantage. J'ai tout admiré de ton dernier discours, et je sais de combien il l'emporte sur le premier en beauté. J'ai tout lieu de craindre que Lysias ne me paraisse un obscur orateur s'il en vient, dans un nouveau discours, à se comparer avec toi. Dernièrement d'ailleurs, merveilleux Socrate, un de nos hommes politiques, le prenant à partie, lui reprochait d'écrire, et le traitait, au long de sa diatribe, de faiseur de discours. Il se pourrait donc bien que par amour-propre il refusât d'écrire. SOCRATE Tu portes un jugement ridicule, jeune homme, et, sur ton ami, tu te trompes très fort, si tu le crois si effrayé. Peut-être aussi penses-tu que l'homme qui le blâmait, lui parlait vraiment pour lui faire des reproches ? PHÈDRE Son but était patent, Socrate ! Et tu sais toi-même que les plus puissants et les plus respectés des hommes de nos cités rougissent de composer des discours et de laisser des écrits ; ils appréhendent l'opinion de l'avenir et redoutent d'être appelés des sophistes. SOCRATE Tu oublies, Phèdre, que le dicton " coude charmant " a pris son nom du grand coude du Nil. Outre ce coude, tu oublies que ce sont les plus fiers des hommes politiques qui aiment le plus à rédiger des discours et à laisser des écrits. Chaque fois qu'ils ont à composer un discours, ils ont une telle tendresse pour les approbations, qu'ils inscrivent d'abord les noms de ceux qui à tout propos les approuvent. PHÈDRE Que dis-tu là ? Je ne te comprends pas. |