PHÈDRE ou DE LA BEAUTÉ DES ÂMES de PLATON [278] Aussi, l'homme qui croit que les meilleurs écrits ne peuvent réellement ' servir qu'à réveiller les souvenirs de ceux qui savent ; qui pense que les discours composés pour enseigner, prononcés en vue d'instruire, et véritablement écrits dans l'âme avec le juste, le beau et le vrai pour objet, sont les seuls qui soient clairs, parfaits et dignes de considération ; qui estime qu'il faut tenir de tels discours pour des enfants légitimes, celui d'abord que l'auteur porte en lui, s'il garde en lui ce qu'il a découvert, ceux qui ensuite, fils ou frères de ceux-là, sont honnêtement nés, les uns dans telles âmes, les autres dans telles autres : un tel homme, s'il dit adieu aux autres formes de discours, court le risque, Phèdre, d'être celui-là même auquel toi et moi nous voudrions ressembler.PHÈDRE pour ma part, de tout coeur je le souhaite, et le demande aux dieux. SOCRATE Finissons : nous avons assez joué sur l'art de la parole. Toi, va retrouver Lysias et dis-lui qu'étant descendus tous les deux vers le ruisseau et le temple des Nymphes, nous y avons entendu des discours qui nous commandaient d'annoncer à Lysias et à tous ceux qui composent des discours, à Homère, à tous ceux qui ont composé des poèmes chantés et non chantés, à Solon enfin, et à tous ceux qui, sous le nom de lois, ont rédigé des traités politiques, que si, en composant leurs ouvrages, ils ont connu la vérité, se sont trouvés capables de défendre par des preuves ce qu'ils ont rédigé et de faire par leurs paroles, que leurs écrits paraissent sans valeur, ce n'est point leur activité d'écrivain, mais leur souci du vrai qui leur vaudra leur nom. PHÈDRE Et de quel nom veux-tu les appeler ? SOCRATE Les nommer sages, Phèdre, me paraît un grand nom qui ne convient qu'à Dieu seul. Les appeler amis de la sagesse ou de tout autre nom semblable, leur serait plus seyant et mieux approprié. PHÈDRE Rien ne serait plus à propos. SOCRATE Quant à celui qui n'a rien de plus précieux que ce qu'il a composé ou écrit, retournant à loisir [278e] sens dessus dessous sa pensée, ajoutant une chose pour retrancher une autre, tu l'appelleras, comme il le mérite, poète, faiseur de discours, ou rédacteur de lois. PHÈDRE Oui, certes. SOCRATE Redis donc tout cela à ton ami. PHÈDRE Mais toi, que vas-tu faire ? car il ne faut pas non plus négliger ton ami. PHÈDRE 169 SOCRATE Quel ami ? SOCRATE Le bel Isocrate. Que lui diras-tu, Socrate, et nous, que dirons-nous de lui ? SOCRATE Isocrate est encore jeune, Phèdre. Je veux bien te dire cependant ce que j'augure de lui. |